Au bord de la rivière

Que fut la surprise lorsque Callyena entendit un clapotement anormal dans l'eau, un son qui n'avait aucun rapport avec celui d'une roche dans l'eau. Elle leva les yeux et fut encore plus surprise d'apercevoir une jeune femme ― avec quelques légères difficultés ― émerger de l'eau. Toujours surprise, Callyena passa si peu de manquer les paroles de la jeune femme devant elle.

― J'espère au moins que c'était accidentel...

Qu'est-ce qui était accidentel ? La jeune femme avait était perdue dans ses pensées et n'avait rien remarqué... Elle avait manqué quelque chose ! Qu'avait-elle fait avant de plonger dans ses pensées ? Pendant une franction de seconde, la jeune femme réfléchit. N'avait-elle pas lancé une roche ? Elle avait dut frapper cette jeune femme... Callyena cligna des yeux, puis se repris. Elle recomposa son visage ― auparavant marqué par la surprise ― avant de répondre sur un ton neutre.

― Je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait quelqu'un, dit-elle simplement.

Elle sourit ― qu'elle paraissait si fragile, si inoffensive parfois ― tout en observant la jeune femme devant elle. C'était une jeune femme ― plus vieille que Callyena surement ― plutôt robuste. Ses yeux, d'un bleu clair, faisait contraste contre ses cheveux d'ébène. Son ton était légèrement foncé. Elle n'avait pas l'air menaçant, du moins pour Callyena, qui pouvait bien se défendre. Elle n'aurait peut-être pas recourt à ses armes, elle qui était plus méfiante des hommes que des femmes. C'était, après tout, son père qui avait assassiné sa mère et non le contraire... C'est alors que la mercenaire vit le regard azuré de la jeune femme se promener pendant un petit instant sur les alentours.

― Vous cherchez quelque chose ?

Si peu elle s'inquiétait des autres. Pourtant, Callyena avait posé cette question sans réfléchir. Espérait-elle voir cette personne disparaître pour replonger dans la solitude ? La mercenaire ne pouvait le déterminer exactement. Souvent avait-elle chassé les inconnus ― parfois avec son poignard ― pour se retrouver seul. Pourtant, elle n'avait pas senti le désir en ce moment. Peut-être était-ce l'habitude...

« Bien que nous sommes des marchombres, cherchant la solitude, nous avons aussi besoin de socialisation, avait dit Elric un jour. Nous avons besoin d'amour, de tendresse, d'amitié. Nous avons besoin de la réconfortante présence d'un compagnon. »
« C'est pour ça que vous avez maintenant moi comme apprentie ? » Callyena avait innocemment demandé.
Elric avait rit ― un rire qui manquait maintenant à la jeune femme tellement il était léger et pur. « Peut-être bien, Callie, peut-être bien ... »

Avait-elle besoin de cette présence humaine ? Souvent Callyena s'était réfugiée auprès des hommes, souvent ces hommes étaient morts de sa main. La jeune femme, ayant pourtant plus de confiance auprès des hommes que des femmes, ne s'étaient que très peu approché de d'autres femmes. Pourquoi, au juste ? Callyena ne pouvait pas dire qu'elle se comprenait ... (Disons qu'elle est affectée mentalement par son enfance...) Pourquoi ne pas essayer d'être plus ... amicale ?

Callyena sourit à la jeune femme. Ces pensées n'avaient durées que quelques secondes.

Ayant fini par redéfinir la cadence de son souffle à un rythme adéquat, Indwey se redressa légèrement, utilisant ses avant-bras comme soutien, lui permettant d’observer la masse fluide qui se déversait… quelque part, forcément. Elle n’était pas cartographe, après tout. Et ne connaissait pas aussi bien les lieux qu’elle le prétendait. Et elle ne l’avait jamais prétendu, d’ailleurs. Mais c'est sans doute une chose qu'elle fera inconsciemment un jour, telle qu'elle est. Pour l'heure, ça n’avait aucun intérêt. À la question évoquée, elle imagea l'ampleur de sa potentielle découverte avec de grands yeux et d'un sourire complice.

- Euh...

Juste avant de réaliser que de révéler un truc pareil au premier venu pourrait forcément réduire les chances de repartir avec ce qu'elle avait trouvé, donc... Valait sans doute mieux inventer un truc qui serait moins accrochant.

- Des crochets, dit-elle avec un brin de culpabilité au visage. Je les ai échappés dans la rivière. Toujours utile pour forcer les serrures...

Elle se tue. Ce n'était peut-être pas l'idée idéale d'affirmer être une personne malhonnête. Elle avait subitement fait le lien entre ''crochet'' et ''accrochant''... Mais la majorité des gens s'en moquait quand elle leur disait des trucs pareils. Enfin, les gardes un peu moins, cela dit. Mais à l'essentiel, ce n'était pas le cas.

Tout en se relèvant, la jeune femme répondit ... avec une légère hésitation. Callyena ne broncha pas ― elle n'était pas du genre à montrer ce qu'elle pensait ― mais nota cette hésitation. Avait-elle perdu la mémoire de ce qu'elle avait perdu ou allait-elle mentir ? Ce n'était pas que la jeune femme était dérangée par le fait qu'il y aille un mensonge ou pas ... c'était juste qu'elle était un peu curieuse. Pourquoi mentirait-elle ? Il n'avait pas vraiment de raison ... Callyena mentait toujours de toute façon. Elle mentait souvent ― voir toujours ― à propos de son nom. Pourquoi ? Le meurtre de sa mère avait été le meurtre de sa personne en même temps. Le suicide de son père avait été le suicide de sa personne en même temps. "Callyena" en temps que tel n'existait plus. À sa place existait "Callie", marchombre, mercenaire, tueuse sans pitié, dont l'arme la plus redoutable n'était que le poignard.

― Des crochets. Je les ai échappés dans la rivière. Toujours utile pour forcer les serrures...

Callyena leva le visage. « Forcer les serrures » ... Cette jeune femme était surement une voleuse. Si elle avait des crochets avec elle et qu'ils étaient « utile pour forcer les serrures », elle devait surement les avoir utilisés... Soit elle n'était pas une très bonne voleuse et donc n'avait pas réussis à s'emparer d'un butin ou avait volé dans un endroit sans butin, ou elle l'avait perdu avec ses crochets mais ne l'avait pas avoué... Serait-ce donc un objet de valeur ? En fait, Callyena s'en foutait un peu. Elle n'avait pas besoin d'argent, de richesse.

― Tu les as perdus dans la rivière ? demanda-t-elle. Si c'est de ma faute, excuse-moi.

Elle essaya de sembler le plus sincère possible, le moins froid. Elle y arrivait souvent sans peu de difficultés ― voilà pourquoi elle avait l'apparence si inoffensive, une apparence bien trompeuse... Elle était loin d'être inoffensive ― ceux qui en avait témoigné ne vivaient pas pour le dire. Elle n'avait rien d'une jeune adulte à peine sortie de l'adolescence et exposée à un monde dangereux, exposé à des responsabilités. Mais pourtant, elle donnait de ces airs-là. Dans le fond, elle n'avait pas grandi depuis qu'elle était devenue orpheline; elle n'avait cessé d'être un enfant innocent ... en apparence. Callyena se leva et approcha la rivière après avoir jeté un rapide coup d'œil à sa monture.

― Ils sont en métal ces crochets ? Un métal ... brillant ?

Elle se retourna vers la jeune femme avec un sourire. Elle n'était pas ignorante que cette dernière pourrait avoir de légers ... soupçons...

― ''Tu les as perdus dans la rivière ? demanda-t-elle. Si c'est de ma faute, excuse-moi.''

Indwey lança un discret regard d'incompréhension à l'égard de son interlocutrice. En quoi tout cela pourrait-il bien être de sa faute ? Bredouillant un ''non'' d'un ton qui évoquait l'incertitude face à cette possibilité, elle se souvint aussitôt que c'était bien le cas, en fait, quand celle-ci l'avait percutée de sa pierre… Elle avait plutôt songé à l'instant où elle avait lâché pour la première fois ― et accidentellement encore ― sa prise dans la rivière, en trébuchant dans de l'herbe. Elle se rectifia auprès d'elle en acquiesçant, sans pourtant lui en tenir rigueur. Ses pensées étaient principalement orientées à la récupération de son bien. Elle eut un doux rictus, se remémorant quelques brefs instants de la poursuite effrénée contre ce poisson de bonne taille et aux motivations douteuses qu'elle avait traqué sous l'eau, afin de récupérer sa possession dépossédée par celui-ci, il y avait de cela un moment.

''Ça serait vraiment bête si cette horreur reprendrait le sac pendant ce temps'', se dit-elle en se mordillant la lèvre inférieure, tout en suivant la jeune inconnue du regard, dont celle-ci se rapprochait à présent de la rive. Elle se leva à son tour, avec la ferme intention de récupérer ce qui lui appartenait de droit, avant que le pseudo-gardien des eaux le récupère à nouveau. Quand à l'étrangère, cela importait peu. Elle espérait toutefois que l'idée de plonger ne lui viendrait pas à l'esprit. Mais celle-ci ne semblait pas nécessairement prédisposée à se tremper pour si peu. Enfin, pour si peu qu'elle savait… Mais avant tout parce qu'elle n'avait en rien l'allure du genre de personne qu'Indwey redoutait le plus : un voleur, détrousseur, pilleur… ainsi que le reste des synonymes liés. On peut bien en être un que cela ne nous sauvera pas d'un autre. Et la menace actuelle n'était autre que ce poisson étrange.

― ''Ils sont en métal ces crochets ? Un métal... brillant ?''

Indwey lui porta une attention distraite, se préparant à plonger de nouveau. Elle ne pouvait pas prendre le risque d'attendre ainsi plus longtemps.

― ''Euh, écoute… je pense que je vais aller les récupérer immédiatement. Ça risque de rouiller, autrement.''

Elle fut soudainement prise d'effroi : le poisson en question émergea de l'eau dans un saut avec, entre ses dents acérées, un sac de toile d'aspect bien rempli, s'enfonçant aussitôt tête première dans la rivière, répétant ainsi le même manège à plusieurs reprises, histoire de narguer la concernée. Indwey resta immobile un moment, suivant la trajectoire d'un être infâme du regard, qui s'éloignait à vue d'œil. Quand celui-ci fut loin désormais, Indwey scruta le ciel un moment, s'agitant nerveusement en tentant de cesser l'agitation même, puis considéra ses bottes, aussi usées que son air actuel.

― ''J'ai toujours préféré défoncer les portes à coup de hache, après tout'', s'exprima-t-elle dans sa flagrante irritation, tout en se rasseyant dans l'herbe, la mine pincée.

Callyena observa la jeune femme devant elle avec intérêt. Cette dernière, semblant se préparer à plonger de nouveau, lui porta une attention un peu distraite. Si ce n'était que des crochets, alors pourquoi était-elle pressée ? L'eau de la rivière semblait désagréablement froide ― Callyena ne savait pas si elle oserait s'y baigner... Ces crochets devaient être de grande valeur... Ou était-ce vraiment des crochets ? Callyena n'était pas très dupe, mais elle savait que ce n'était surement pas ce que cette jeune femme disait, mais elle n'y portait pas très attention. C'était de ses affaires, pas les siennes. Et quel que soit le butin, la jeune marchombre s'en foutait pas mal.

― Euh, écoute… je pense que je vais aller les récupérer immédiatement. Ça risque de rouiller, autrement.

Rouiller ... était-ce seulement pour le truc des crochets ou était-ce vraiment du métal que la jeune femme avait perdu ? Peut-être était-ce vraiment des crochets ... Mais alors, était-ce la des crochets qui lui étaient importants ? Chassant ses autres questions sur les activités et la sincérité de la jeune femme devant elle ― puisque ce n'était vraiment pas de ses affaires ― Callyena se décida d'être amicale ― chose assez rare pour elle.

― Tu veux de l'aide pour les trouver ?

C'est à ce moment que la marchombre remarqua le regard stupéfait de la jeune femme aux cheveux sombres. Elle regardait la rivière... Callyena se retourna et aperçut un poisson aux dents tranchantes émerger de l'eau. Mais ce n'était pas tout ! Ce poisson tenait dans sa gueule un sac de toile qui semblait rempli. La marchombre se retourna vers l'inconnue, un peu surprise de ce qu'elle avait vu. Cette dernière resta immobile, le regard toujours porté vers la rivière. Callyena entendait le clapotement de l'eau et ne douta pas un instant que le poisson avait émergé une fois de plus de la surface, et peut-être plus qu'une fois.

La mercenaire détourna les yeux un instant et regarda sa monture non loin. Elle s'éloigna et marcha pour caresser son encolure. Bien qu'elle ne visse sa jument que comme une bête, elle savait qu'elle devait lui montrer un peu d'affection de temps en temps. Mais dans cette fois-ci, elle ne cherchait qu'à occuper ses mains. Elle caresser l'encolure de sa jument de façon distraite, jetant parfois un rapide coup d'œil à la femme. Elle ne savait pas pourquoi, mais Callyena se sentait un peu mal-à-l'aise, elle qui était toujours certaine d'elle. Elle avait l'impression de faire intrusion dans une histoire qui ne la concernait pas. Elle savait comment désagréable les intrusions étaient ― elle avait tué elle ne savait plus trop combien d'hommes parce qu'ils avaient été un peu trop curieux à son avis ― et ne voulait importuner personne avec cela.

― J'ai toujours préféré défoncer les portes à coup de hache, après tout.

Callyena se retourna. La jeune femme était assise dans l'herbe. Elle semblait irritée, de mauvaise humeur. La marchombre laissa sa monture tranquille et s'approcha pas trop brusquement de la jeune femme. Ne sachant pas exactement ce qu'elle faisait et pourquoi elle le faisait, Callyena s'accroupit à côté d'elle et lui sourit ― le plus sincèrement possible.

― Y a-t-il quelque chose que je peux faire pour t'aider ? demanda-t-elle poliment.

Un ton poli, Callyena savait en utiliser. Mais vouvoyer était plus difficile. Elle le faisait parfois ― elle l'avait fait une fois, cette journée ― mais seulement lorsqu'elle se forcer à se rappeler d'être véritablement courtoise. Sinon, si on la surprenait, elle pouvait être si désagréable... C'était son état naturel.

« Jeune apprentie, quelqu'un t'a-t-il déjà appris à être polie ? » avait demandé Elric.
Callyena l'avait observé d'un regard bizarre. « Si. Ma mère. »
« Alors pourquoi n'es-tu pas polie avec le monde autour de toi ? T'as mère te disais surement de ne pas être désagréable. »
« Ma mère n'est plus là pour me dire quoi faire », avait-elle répondu avec un air triste.
Elric avait fait une pause avant de poursuivre ce qu'il allait dire. « Lorsqu'on est poli, on peut obtenir tout ce qu'on veut. »
« Non, avait été la seule réponse de Callyena. Ce que je veux a besoin de plus que la politesse. Ce que je veux ne peut être obtenu. »
Cette soirée là, elle avait su qu'Elric était conscient du vœu de son apprentie. Il savait que son vœu ne pouvait être réalisé et qu'ainsi, elle n'essaierait jamais d'être polie. Ce qu'il n'avait pas su, c'était que son vœu allait la mener vers le chaos, vers sa propre mort.